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c’eſtoit temerairemẽt fait de dire que le Dieu des richeſſes fuſt aueugle. Mais c’eſt pource que iadis ceux-là ſeulement poſſedoient de grands biens, qui ſurpaſſoient le reſte des hommes en eſprit, en valeur, ou en quelque autre vertu ; ce que les Anciens obſeruoient, ſelon le teſmoignage de Lucrece au 6. liure : Le beſtail et les champs ſi bien ils partagerent, Que ſelon ſa valeur & eſprit ils donnerent A chacun, & ſuiuant ſa digne qualité. Si ne falloit-il pas donner des richeſſes aux hõmes pour recompenſe de leur vertu, veu que la vertu eſt d’elle-meſme deſirable, & que les gents de bien la doiuent ſeulement ſouhaitter pour l’amour d’elle-meſme. Car celuy qui embraſſe la vertu pour en auoir recompenſe, ou qui ſe deſtourne du mal & des vices craignant d’eſtre chaſtié, cettuy-là n’eſt pas abſoluëment homme de bien. C’eſt doncques à bon droict que Iupiter a creué les yeux à Plute. Ils l’ont eſtimé tres-puiſſant à cauſe que communément on met les richeſſes en meſme rang que la vertu, encore que la vraye nobleſſe ſoit la ſeule vertu : mais le vulgaire, qui ne ſçait que c’eſt que de vertu, au lieu d’elle ne fait cas que des richeſſes & commoditez de cette vie. Puis-aprés le monde croiſſant, & l’audace & nonchalance des hommes s’augmentant, on fit des loix, on diſtribua les heritages, on les diſtingua par bornes & limites. Lors commencerent les rapines, les pilleries, les larrecins, les brigandages, & les rauiſſemens des biens d’autruy. Comme donc les vns n’eſpargnoient aucune peine pour acquerir des biens, & n’apprehendoient aucun danger qui les en peuſt deſtourner, & neantmoins l’heur ne leur en voulant point, & au contraire toutes choſes ſuccedans à ſouhait aux autres, ils appellerent fortune, aueugle, & le Dieu des richeſſes, aueugle. La Fable dit que Plute auoit tres-bonne veuë, mais que Iupiter portant enuie aux gens de bien, auſquels il aſſiſtoit ſeulement, le rendit aueugle : & que depuis force luy fut de s’accoſter indifferemment de toutes perſonnes. Car ce que le commun peuple void aduenir ſans en ſçauoir la cauſe certaine, il ne luy eſt pas aduis que cela ſe faſſe par la prouidence de Dieu, mais l’impute à fortune. On fit depuis tant de cas & d’eſtime des richeſſes, ou d’autant qu’on cõmenca à les acquerir, non ſans prudence & induſtrie, ou d’autant qu’elles apportoient beaucoup de commoditez aux hommes, que l’on teint Plute pour n’eſtre en rien inferieur aux autres Dieux. Pour le iourd’huy toute vertu, toute ſcience & pieté eſt contrainte de ceder & faire place à la tres-venerable majeſté des richeſſes : & celuy qui peut donner quand il veut, eſt plus honoré, combien que ce ſoit vn eſtourdy, vn inſenſé, vn larron, vn meurtrier, & vn voleur, que le plus ſage, le plus rond & entier en beſongne qui ſoit au monde, & qui ait fait à ceux de ſa nation beaucoup de bons & agreables offices.

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