51 rue Boussingault
Paris XIIIe
le 16 juin 1957
Cher ami,
Merci de l'invitation pour le 23 ; Jean-Michel et moi aimons l'artifice dans les feux et nous réjouissons à l'idée d'en admirer bientôt les progrès ; nous serons plus heureux encore de vous revoir et de jouer, peut-être, au ping-pong avec votre petit-fils, imbatttable, m'a-t-on dit, dans cet exercice.
En vous souvenant de moi, vous attisez les remords qui ne m'ont pas quitté depuis votre lettre sur Roger Caillois et les rêves.
Pardon de vous répondre si tard. Je voulais prendre mon temps pour réfléchir. C'était bien inutile. J'ai réfléchi et je suis toujours convaincu que ce qui compte ici n'est pas telle interprétation psychologique ou philosophique du rêve, mais le rapport du rêve et de la sensibilité.
Vous avez très bien vu que le problème des idées et de la réalité, - comme celui du rêve et de la réalité -, ne peut en fin de compte se résoudre qu' « à force de sensibilité ».
Dans la conférence qu'il a faite à la Société française de philosophie et que j'ai entendue, Roger a nié l'existence des rêves.
Il ne lui reste plus maintenant qu'à nier l'existence des idées, car il est au moins aussi troublant d'avoir des idées que des rêves.
J'ai cru autrefois que Roger tentait et poursuivrait une expérience dangereuse, mais féconde, à la limite de la science et de la sensibilité.