bon marché cette supériorité de dénoncer l'entrainement du langage, la naïveté de l'écrivain qui s'est laissé piper aux mots. Un liseur, c'est Montaigne. Un critique c'est Taine.
On m'objectera le critique qui ne juge pas mais s'efforce seulement de comprendre (Non ridere…sed intelligere). Mais celui là n'est pas plus intelligent que l'autre : sous prétexte de mettre l'œuvre dans sa lumière, dans son encadrement, il dissipe toute l'intériorité de l'œuvre en facteurs extérieurs : la race, le milieu, le moment. La sociologie. Toutes les valeurs et les puissances individuelles se résorbent en extérieur.
Vous avez une distinction d'une rare finesse quand vous montrez qu'on peut entendre un livre tantôt comme langage, tantôt comme pensée. Il est vrai qu'en un sens le discours exclut la pensée et la pensée exclut le discours ; mais ce sont là ses limites : l'art est également éloigné de l'automatisme verbal et de la pensée sans signes. Cette distinction toutefois est presque inévittable parce que de la pensée d'un artiste, nous voyons d'abord des signes et beaucoup de lecteurs ne vont pas plus loin. Le grand écrivain est celui précisément qui sait empêcher son lecteur de faire cette coupure et son vrai critique est l'homme qui comprend la langue d'artiste comme pensée. L'écrivain de génie est tel que l'on ne peut penser sa pensée qu'avec les mots dont il s'est servi et auxquels il a su donner une abondance de signification inépuisable. Sa pensée, loin des signes qui la manifestent se perd comme une ombre et devient la pensée de tout le monde. Alors le critique triomphe. Aussi par cette distinction on peut réduire les plus grands à la pure apparence, c'est à dire à la rhétorique. Montaigne est un rhéteur pour Marphurius, Pascal est un rhéteur pour Diafoirus, Stendhal est un rhéteur