Évian le 16 août [1934]
Chers amis,
voici un mois que chaque jour mon cœur se serre en pensant que je ne vous ai pas encore écrit aujourd'hui. Ce n'est pas oubli et presque pas négligence : toujours les mêmes histoires : la traduction qu'il fallait finir à toute vapeur (et en même temps je ne peux me résoudre à faire du travail salopé), et je croyais toujours que dans 2 ou 3 jours je pourrais me permettre la joie de vous écrire autrement qu'à la hâte, mais ce délai se multiplia dix fois ; sans compter les jours nombreux où je ne pouvais trouver les dix sous pour le timbre. Enfin, ça s'achève, j'envoie le travail à Parrain par morceaux, et aujourd'hui je vous écrirai.
voici la vie qu'on mène : vers 9h, réveil, et dès 9h½, traduction, jusqu'à 5h, avec un court intervalle pour l'estomac. À 5h, Mme de Salzmann nous vient pour le solfège. Il y a deux Anglaises, l'amie de Ph. [Philippe] Lavastine et Vera qui savent déjà quelque chose de la musique ; et Lavastine qui est presque aussi ignorant que moi. Mais enfin je tâche d'assimiler cette nourriture sonore dont j'avais faim depuis des années, et que personne d'autre que Mme de S. [Salzmann] ne pouvait me donner intelligemment. On étudie moins les sons externes que la structure de sa machine humaine sous l'éclairage du son (puisqu'elle est opaque à la lumière). On tâche d'édifier ou de légiférer