Genève60A (et non 30A ) route de Chênele 6 octobre novembre [1935]
Cher ami,
Excusez-moi, mais je ne peux rien écrire sur Sylvain Lévi. D'abord, si je connais quelques-uns de ses ouvrages, je sais trop peu sur sa carrière pour savoir quel hommage posthume il mérite, et pour le lui rendre compétemment. Ensuite, je ne voudrais pas, ne serait-ce que pour les 3 personnes, y compris moi, qui pourraient en faire la remarque, paraître avoir des remords d'une petite pointe que j'ai lancée à cet estimable érudit dans le dernier n° [numéro] de Mesures. Tout ce que je pourrais dire est ceci :
« S'il n'avait pas été si savant, il aurait peut-être été plus intelligent. Mais s'il avait été plus intelligent, il aurait sans doute été moins savant, et moins utile à ceux qui sont plus intelligents mais moins savants.
Il est mort sans avoir dit pourquoi il s'intéressait tellement au théâtre indien, au bouddhisme népalais, et aux manuscrits koutchéens. C'est un secret qu'il emporte dans la tombe. »
Ce qui, vous le voyez, serait un peu déplacé.
Pourquoi ne demandez-vous pas cette note nécrologique à Jean Grenier, ou à Étiamble [René Étiemble], ou à Adrienne Monnier, ou qui sais-je, qui soient plus gentils et plus respectueux de leur naturel ?
J'ai été bien content d'avoir de vos nouvelles. Pour les vampires, vous n'avez qu'à accrocher de vieux parapluies au plafond, ça fait le même effet, et c'est moins coûteux. Mais les écureuils doivent être bien vivants ; on peut les peindre en vert, avec des bandes rouges, au ripolin, c'est moins automnal.
Non, je n'ai pas de roman, ni sous la main, ni dans la tête. Mais j'ai décidé de terminer quand même La Grande Beuverie, qui ne sera peut-être pas mal. Vous avez peut-être, même sans doute raison sur le projet de livre dont je vous parlais. Je le ferai peut-être un peu autrement. On parlera de cela, si vous voulez, le mois prochain.