Roger Martin du GardIl s'agit d'une lettre de Jean Paulhan.
le 6 juin 1932
Cher ami,
Vos lettres me font grand plaisir ! Merci de me les écrire.
Demain est une toute jeune revue américaine, revue de tout jeunes étudiants, et certes digne qu'on l'encourage. Et votre lettre répondait à une question que l'on me pose plus de dix fois par mois. Donc il était indiqué d'en détacher cette ligne.
Nous avons connu avant la guerre beaucoup de gens qui s'engageaient avec grand courage : il y a eu Gustave Hervé, Remy de Gourmont, et bien d'autres. Quand ils se sont désengagés pour se réengager ailleurs avec la même violence, nous les avons trouvés sympathiques peut-être (ce qu'un écrivain n'a pas du tout besoin d'être) mais un peu niais. Reconnaissez, je vous en prie, que l'engagement importe moins que le choix des idées suivant lesquelles on s'engage. Il y a erreur évidente, une erreur grossière dans le choix de Guehenno, c'est qu'il se prépare (comme on a reproché à certains généraux de le faire) avec ardeur à la guerre de 1914. Si la prochaine guerre n'est pas dès l'origine civile plus que nationale, elle le deviendra dans les deux mois. Songez à l'armée rouge, aux colonies, à Hitler, à Mussolini, à la Chine, au communisme. En refusant de se prononcer sur la guerre civile, Guehenno refuse de se prononcer sur la prochaine guerre.
(Que dis-je, sur tout guerre. Il ne manque pas d'esprits avertis pour être sûrs que la guerre de 1914