4 avril 1930

Mais si, il faut laisser le lecteur penser qu’Albert ravaude les éternités. L'éternité, ou les éternités, sont pour Auguste aussi ravaudables qu’autre chose. Elle ne sait pas exactement ce qu’est l’éternité, nous ne le savons, d’ailleurs, pas mieux qu’elle. Pourquoi n’userait-elle pas de ce mot avec autant de liberté que nous usons de « l’infini » ? Pour elle, l’éternité, c’est tantôt un temps très long, tantôt un moment pas ordinaire, qui semble en dehors de l’écoulement des jours, un moment essentiellement présent, sans passé ni futur, le moment même de l’acte d’amour.

Albert, dans son effort pour trouver la volupté, lui paraît quelqu’un qui met bout à bout, qui raccommode, des parcelles d’éternité – amour, chacune de ces parcelles étant une minuscule et insaisissable éternité-amour, quelque chose comme les atomes, quoi.

L'expression est bien : « ravaudant les éternités ». Le participe présent est nécessaire parce que, dans une région de l’esprit d’Auguste, on pointe qu’Albert est sans dents. Je vous ai, d’ailleurs, déjà exposé les raisons d’anatomie verbale.

C'est par raccourcissement et adaptation étrangère que l’on dirait ravauder, sans plus.

Cher Ami, Sollier espère que vous arriverez, tout de même, à prendre votre parti de cette stalagmite.

Bien affectueusement à vous deux,

Adrienne