Lucien Rebatet
22 mars 1951
Cher Paulhan
Permettez-moi de vous appeler ainsi, bien que je n'y aie aucun titre, sauf d'avoir beaucoup pensé à vous, depuis quatre ans, avec une constante gratitude, une grande sympathie intellectuelle.
Je veux d'abord vous dire toute ma reconnaissance pour l'accueil que vous avez bien voulu faire à ma chère et si courageuse femme. Vous l'avez ravie, enthousiasmée, et depuis tantôt deux mois elle vous cite en exemple des vertus qu'en effet que je n'ai guère pratiquées, dans mon existence batailleuse, rageuse. C'est elle qui a pris la décision de vous consulter. J'ai aussitôt approuvé, très heureux et flatté que ma femme eût pris cette décision. Je vous avouerai que, libre d'agir, j'aurais sans doute hésité un bon moment avant de vous proposer une aussi volumineuse lecture. Je vous avouerai encore que j'ai attendu votre verdict avec l'angoisse du premier bachot (bien plus vive que celle de la Cour de Justice!). Je ne me ferai pas plus modeste que je ne suis. J'ai pu juger mon livre assez correctement, je crois, en le relisant avec plusieurs années de recul, je sais qu'il n'est pas sans mérites. Mais je me demandais, avec une extrême perplexité, si ces mérites seraient de votre goût, et si votre grande autorité, votre immense expérience de toute littérature ne s'exerceraient pas d'avantage sur tant de défauts, de gaucheries que je ne dissimule pas. Ai-je besoin de vous dire que ma joie en a été d'autant plus vive, lorsque ma femme m'a transmis votre jugement?
Vous devinez sans peine quelle effroyable punition je subis entre mes murs, n'ayant même pas la possibilité de m'entretenir une heure avec vous. C'est pour calmer un peu cette terrible démangeaison que je me décide à vous infliger encore, après mes 1500 pages, cette lettre dont, par surcroît, je suis obligé de serrer les lignes.
Ma femme m'a dit que vous seriez curieux de connaître mes méthodes de travail. Elles sont bien empiriques. Je me suis aperçu