Mardi 16 septembre [1953]
Cher Paulhan
J'aurais déjà du [dû] vous dire mon émerveillement devant la persévérance de votre amicale sollicitude à mon endroit. Toutes ces corvées que vous avez accomplies ! Et vos propos devant ce journaliste de Combat… Je savais que vous étiez épatant. Mais à ce point-là !
Je suis persuadé que vos démarches ont fait réfléchir les « responsables », ce qui est l'essentiel, et que mon sort ne tardera pas à s'améliorer.
Nous avons quitté Argentan, vraiment trop sinistre et trop onéreux, la semaine dernière, pour une petite bourgade voisine et tout de même un peu moins désolante. Nous avons loué une chambre chez une vieille dame pieuse, avec possibilité de faire un peu de cuisine. L'inconfort est inimaginable. Véronique vous décrira ça beaucoup mieux que moi. Le plus effrayant, c'est que la proximité d'une vieille dame d'œuvres lui inspire (à Véronique) une verdeur et une sonorité de langage qui me mettent le rouge au front. En compensation, j'ai jugé nécéssaire [nécessaire] que nous assistions dimanche à la messe de onze heures…
Il est certain que j'imaginais sous d'autres aspects ma vie de libéré. Certain aussi que je perds mon temps, au milieu de ces déménagements, dans ces logis impossibles, dans ces provinces. Je suis pourtant capable de travailler dans les pires conditions matérielles, je l'ai prouvé à Fresnes et à Clairvaux. Mais la prison, ce n'est pas la province. Il faudrait que je m'occupe de mon futur opuscule. Depuis deux mois, je n'ai rien fait qui vaille, et je commence à traîner des remords. Mais je sens que je ne pourrai redémarrer qu'à Paris, après avoir retrouvé un peu la vraie vie. Ici, nous sommes en 1820.