Paris 4 janvier 1957
Cher ami,
Je suis saisi de remords en recevant vos excellents vœux. Nous n'avons pas envoyé un mot, pas une carte. Nous vivons confinés dans ce quartier du Point du Jour, qui ne gagne pas à être connu. L'argent est rare, ce qui assombrit l'humeur de Véronique, surtout maintenant que la question de l'essence s'y ajoute.
Nous voulions aller vous dire bonjour mercredi ainsi qu'à Dominique. Mais il m'est tombé des corvées – qui ne rapportent d'ailleurs rien – sur le dos.
Mes récits, cher Jean, ne peuvent paraître, comme je vous l'ai déjà dit, que lorsque j'aurai publié quelque chose d'important. J'ai repris un manuscrit abandonné l'été dernier à la 250e page. Il me semble que ça marche, mais pour devenir aussitôt kilométrique. J'ai l'impression de ne plus être le maître de la mécanique. Faut-il s'y abandonner ? J'aurais voulu m'évader de cette forme romanesque dont j'ai pris l'habitude. Mais c'est sans doute hors de mes moyens, ou encore trop tôt… Je voudrais travailler cinq ou six ans à un livre, qui aurait cinq cents lecteurs, voilà la vérité. D'autre part, j'ai des choses à dire qui ne peuvent pas attendre aussi longtemps !
Bref, je pense que vous aurez un manuscrit de moi dans le courant de cette année.
J'espère que nous aurons lu auparavant votre livre sur la peinture. J'y compte d'autant