Jeudi. [1954 ou 55]
Mon cher André,
Je le vois bien, c'est sur le fond que nous différons. Que vous dire ? Voici en tout cas ce que je pense fortement : c'est que l'amour, s'il est parfaitement intense et pur, n'a rien à craindre des aventures, des difficultés, des variations du sexe. C'est qu'il n'a même pas à se dissimuler ces détails. C'est qu'il n'est rien de réel (la réalité fût-elle de l'ordre du rêve) qu'il ait à redouter. C'est qu'il peut traiter ces variations comme des signes (qu'il emplit d'un nouveau sens), bref comme une algèbre plus ou moins ardue - mais dont les équations n'offrent pas des gênes beaucoup plus graves qu'une géométrie de la quatrième dimension, ou un problème topologique. Ainsi de l'Histoire d'O . C'est là ce que je voulais donner à entendre dans ma petite préface. Peut-être aurais-je dû marquer le problème - et du même coup la solution - d'une manière plus explicite.
Mais j'aurais voulu y jeter mon lecteur plutôt que le lui expliquer. Mais j'aurais voulu l'être plutôt que le dire. Il m'a semblé - il me semble encore - qu'il y suffirait de traiter de façon parfaitement décente un récit parfaitement indécent.
Etait-ce là de la suffisance de ma part ? Etait-ce demander un peu trop d'attention à un lecteur, neuf fois sur dix gâté par la littérature érotique courante - par l'abjecte littérature grivoise ? Je suis navré qu'un lecteur comme vous ait pu s'y tromper.
Très affectueusement
Jean P.